Honorable Sénateur Didier Mumengi,
Monsieur le Recteur Herman Van Goethem,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Communauté africaine en général et de la communauté congolaise en particulier,
Mesdames et Messieurs les représentants d’institutions culturelles et scientifiques ;
Mesdames et Messieurs les agents, les cadres et les professeurs de l’université d’Anvers ;
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
En cet instant où l'émotion se mêle au recueillement, en ce lieu où l'histoire nous rassemble, en ces minutes si particulières : je veux dire avec gravité que le sentiment qui m'étreint au moment de prendre la parole ici devant vous est celui de l’infinie gratitude.
Je regarde ce lieu si chargé d’histoires, je regarde vos visages si graves, et j’ai du mal à croire que cette historique tanière du savoir puisse porter le nom de Patrice Lumumba!
Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs de l’Université d’Anvers, vous l'avez fait. Rien ne vous y obligeait. Je vous le dis avec respect: nul lieu, autant ici en Belgique qu’au Congo, ne symbolise un regard aussi sincère et lucide jeté sur notre histoire commune!
Puisque vous savez mieux que quiconque, en formateurs universitaires patentés, que c’est souvent dans l’esprit des jeunes que s’ancrent les préjugés, les stéréotypes, le poison du négationnisme ou le venin du suprémacisme; vous avez choisi, au travers de cette consécration éclairée, de donner à vos étudiants un devoir de tous les jours et pour toujours.
Vous avez choisi de donner à vos étudiants un devoir de tous les jours et pour toujours
Ce devoir, c’est l’importance du souvenir, le refus de l'oubli, l’obligation de transmettre, de réparer et de faire vivre autant que possible une mémoire positive… Car ne rien occulter des heures sombres de l’Histoire, et particulièrement de l’histoire coloniale, la ré-convoquer sans rien effacer, sans rien nier ni rien renier, en cherchant sans cesse à comprendre et à reconnaitre; c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté, de sa dignité, de son émancipation politique et sociale, et oeuvrer pour une réconciliation des mémoires, au service de la paix.
Monsieur le Recteur, la gorge nouée, je mesure le prix de votre courage, et je loue la puissance de vos convictions. Par le geste que vous posez aujourd’hui, non seulement vous nous incitez, - nous Congolais et vous belges -, à interroger nos consciences, mais bien plus: vous transmettez à tous les peuples du monde un message essentiel, pour aujourd'hui, pour demain et pour toujours.
Ce message, c’est la commémoration d’un homme dont la vie aura aussi été une sirène de la raison, et qu’aujourd’hui, son éclat résistant à l’érosion des années, raisonne en quelque sorte en chacun de nous comme un écho intime d’une épiphanie de la liberté.
C’est la commémoration d’un homme dont la vie aura aussi été une sirène de la raison, et qu’aujourd’hui raisonne en quelque sorte en chacun de nous comme un écho intime d’une épiphanie de la liberté
Ce message, c’est surtout la prise de conscience que la liberté et la vérité ne périront jamais tant qu’il y aura des hommes et des femmes capables de mourir pour elles. Voilà pourquoi ce message, c’est d’abord et avant tout une leçon, à savoir: la science et la raison peuvent réconcilier ceux que le passé avait opposés dans le sang!
L’auditorium Patrice Lumumba devient le temple de ce message: le message du combat pour la tolérance et la fraternité humaine, contre toutes les discriminations, contre tous les racismes, contre toute xénophobie, contre tout négationnisme.
Si hier, de la conférence de Valladolid en 1550 à la Conférence de Berlin de 1885, les scènes terrifiantes de la traite négrière et les affres du colonialisme se sont déchaînées en Afrique, c'est aussi parce que certains milieux universitaires n’avaient pas su ou pas voulu condamner avec la fermeté scientifique nécessaire cette perversion absolue de l'âme humaine, cette forme la plus ignoble et la plus abjecte des crimes contre l’humanité !
Mesdames et Messieurs,
Il y a eu ces ténèbres-là, mais aujourd’hui, il y a la lumière de cet hommage fait à Patrice Lumumba, qui exprime la volonté d’affronter cette part d’ombre de l’Histoire du monde, si loin des principes de solidarité humaine, et en tirer la plus noble des leçons.
Monsieur le Recteur, comment ne pas saluer ce courage de voir avec les yeux de la science combien Patrice Lumumba pouvait être élevé au-dessus des considérations politiciennes afin d’incarner la figure la mieux à même d’unir les Belges et les Congolais.
Quelque part, cet acte signifie que cette université, où jadis étaient formés les agents coloniaux, formera désormais les artisans du co-développement belgo-congolais. C’est-à-dire: les acteurs de la nouvelle fraternité belgocongolaise.
Mesdames et messieurs,
Cette cérémonie, au-delà d’honorer Patrice Lumumba, rend hommage à l’engagement, à travers le monde et tout le long de l’histoire humaine, des hommes et des femmes qui se sont levés pour faire triompher tant les vertus de la vérité et de la justice que les idéaux de la liberté et de la solidarité, ainsi que les valeurs de la tolérance et du respect d’autrui.
L’humanisme fraternel et solidaire vers où le monde tend aujourd’hui, nous le leur devons. Mieux, c’est à eux que nous devons la naissance de l’Organisation des Nations Unies, dont un belge, Henri La Fontaine, Prix Nobel de la paix en 1913, en a été un des précurseurs. C’est d’ailleurs ici à Anvers qu’Henri La Fontaine avait organisé le Congrès international de la paix de 1894, et bien plus tard, en 1921, il va aider son ami Congolais Paul Panda Farnana, premier universitaire congolais, à organiser, à Bruxelles, la deuxième session du deuxième Congrès panafricain de l’histoire.
L’acte que pose aujourd’hui l’Université d’Anvers veut aussi dire qu’entre le Royaume de Belgique et la République Démocratique du Congo, ces vertus humanistes-là n’auraient pu avoir lieu sans le visionnaire que fût Patrice Lumumba, sans son cri de colère face aux terreurs de la colonisation et la désespérance du peuple congolais d’alors.
Mesdames et messieurs,
Je voudrais vous dire aussi l'émotion et la fierté qui sont celles de ma famille et de moi-même à être ici, pour vivre l’hommage d’un sanctuaire du savoir à un autodidacte qui avait la passion de la connaissance chevillée au corps.
Je voudrais vous dire aussi l'émotion et la fierté qui sont celles de ma famille et de moi-même à être ici, pour vivre l’hommage d’un sanctuaire du savoir à un autodidacte qui avait la passion de la connaissance chevillée au corps
En effet, sans une quelconque formation en journalisme, Patrice Lumumba a été correspondant de presse de deux organes: La Croix du Congo et La Voix du Congolais, de 1948 à 1956.
Aux aurores de son engagement politique, sans avoir été à l’Université, il a écrit en 1956 l’ouvrage dont le titre préfigurait déjà le combat qu’il allait mener: «Congo, terre d'avenir, est-il menacé?»
Enfin, et je tiens à le dire en présence de ma famille ici réunie: cette particulière consécration arrête nos larmes, qui coulent sans discontinuer depuis 62 ans. Aujourd’hui, on ne pleure pas, car c’est le jour du triomphe et non pas des chagrins. Aujourd’hui, c’est un jour heureux parce que, sans l’ombre d’un doute, où qu’il soit, Patrice Lumumba est aussi dans l’allégresse, se réjouissant de nous voir ici, tous ensemble, réunis pour placer son nom sur le fronton de cet auditorium universitaire.
Vivement donc que le souvenir de notre illustre père se mue en semence scientifique pour que de cet amphithéâtre germent les intelligences les plus humanistes.
Voilà, Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs, les brèves réflexions que j'avais envie de partager avec vous, en ces circonstances particulières, où l’université d’Anvers, au travers de cet hommage à Patrice Lumumba, a radieusement fait le choix de la fraternité humaine et de la paix des mémoires, par l’écriture d’une histoire commune apaisée, pour un présent commun et solidaire.
À ceux qui s'interrogent encore sur ce qu’a fait ou ce qu’a été Patrice Lumumba, à ceux qui s'interrogent sur ce que sont les valeurs de sa lutte, vous, l’Université d’Anvers, vous apportez aujourd’hui la plus magnifique des réponses. Grâce à cette illustre consécration, nous pouvons dorénavant regarder la colonisation au fond des yeux, et notre histoire, bien en face.
Au nom de la grande famille Lumumba, et pourquoi pas au nom de la nation congolaise tout entière, je m'incline avec respect et infinie gratitude devant vous, Monsieur le Recteur ainsi que toute votre équipe, et vous dit du fond du coeur: mille mercis.
Mes remerciements les plus sincères s’adressent également à toutes celles et à tous ceux qui auront contribué à la réussite de cette grandiose journée d’hommage.
A vous tous et à vous toutes: merci.